Il est de tradition, lorsque l’on parle de saint Jean de la Croix, de rappeler l’épreuve de son emprisonnement au cachot de Tolède. Enlevé le 2 décembre 1577 par des frères de l’ordre des Carmes, du monastère de l’Incarnation à Avila où il résidait comme confesseur ordinaire des religieuses, il est mis au secret dans le couvent des Carmes à Tolède. C’est là, en effet, dans le drame d’une nuit dont il ne voit pas la fin, qu’il compose ses premiers grands poèmes : en particulier, au temps de Noël, les neufs romances sur l’Incarnation et, au temps de Pâques, le Chant de l’âme et de l’Époux. Il s’évade du couvent le 17 août 1578, au lendemain de la fête de l’Assomption. Ces neufs mois d’enfermement à Tolède, terre natale de sa mère, sont pour lui temps de naissance à soi-même, temps qui lui aura permis de devenir pleinement créatif.

Fils de Gonzalo de Yepes et de Catalina Alvarez, Jean naît en 1542 à Fontiveros en Vieille Castille ; certains historiens avancent l’année 1540. Deux frères le précédent, Francisco et Luis. Gonzalo est aristocrate, Catalina issue d’humble milieu ; tous deux laissent une interrogation quant à leur véritable origine : conversos, convertis du judaïsme et maranes, d’origine musulmane. La famille vit du tissage, commerce et artisanat très communs en cette région d’élevage du mouton. Le père Gonzalo meurt en 1545, ainsi que le frère puîné Luis. Le reste de la famille connaît alors l’exclusion, l’errance et la misère.

En 1551, la famille, réduite à trois, s’installe à Medina del Campo où elle trouve du travail. Jean commence à exprimer ses multiples dons naturels : dons artistiques, il aime le beau ; dons intellectuels, il est ouvert aux choses de l’esprit ; dons religieux, il manifeste beaucoup de piété et surtout il a le sens du service d’autrui, des siens et des plus pauvres ou des malades et des souffrants. Il fréquente les écoles de la ville, celle des frères de la Doctrine, puis le collège des jésuites, et il travaille à l’hôpital à de multiples tâches.

En 1563, à vingt ans, sous le patronyme de Jean de Saint-Matthias, il prend l’habit chez les Carmes. L’Ordre marial, venu en Europe avec le retour des croisades au XIIIe siècle, vient de s’installer dans la ville. Son grand frère Francisco, qui demeurera pour toujours son confident, y fonde foyer.

Après l’année de noviciat et la profession religieuse, il part pour Salamanque au collège Saint-André des Carmes accomplir le cycle des études scolastiques. En 1567, il revient quelques jours à Medina pour célébrer sa première messe en présence de ses frères, de sa famille et des amis du couvent. Il rencontre Thérèse d’Avila (1515-1582) qui vient de fonder dans la ville un Carmel de sa Réforme et souhaite entraîner quelques frères dans sa Réforme de l’Ordre… Jean pensait alors à la Chartreuse comme lieu plus intense de contemplation, Thérèse l’en dissuade…

Un an plus tard, en 1568, il inaugure avec deux autres compagnons, dans une masure de village perdu, Duruelo, une vie de retour aux pratiques primitives de l’Ordre. Thérèse veille à la réussite de l’entreprise, engagée non sans difficulté. Très vite, Jean devient formateur de nouveaux membres. Plusieurs nouvelles fondations s’en suivent : Mancera, Pastrana. Thérèse a été envoyée par les autorités de l’Église à l’Incarnation d’Avila, le grand couvent où elle était entrée à vingt ans, pour y introduire sa Réforme. En 1572, elle y fait venir Jean à demeure, avec un autre frère déchaux, surtout pour accompagner spirituellement les moniales.

C’est du 2 décembre 1577 au 17 août 78 qu’il est alors mis au secret dans le couvent de Tolède par les religieux de l’ordre qui combattent la Réforme. Après son évasion, pour tenter d’apaiser la situation, les frères de la Réforme l’envoient à Jaén dans le sud de l’Espagne. Il accompagne aussi Thérèse dans ses dernières fondations. Il ouvre encore près de l’université de Baeza un collège carmélitain pour les jeunes étudiants de la Réforme

Catalina, sa mère, meurt en 1580. Après la mort de Thérèse en 1582, il devient prieur du couvent de Grenade… Grenade, cité où perdurent dans les architectures un ineffable des cultures juives et musulmanes, comme dans bien d’autres citées en cette Espagne du sud. Une fraternité de Déchaux y est déjà implantée à Los Martyres, face à la Sierra Nevada. Là, Jean révèle tous ses dons de maître spirituel et écrivain ; il compose d’autres poèmes et il rédige tous ses grands Écrits ; il montre aussi ses dons de supérieur de communautés de la Réforme. Toujours accompagné d’un frère laïc, à dos d’âne ordinairement, il voyage beaucoup pour encourager les nouveaux couvents de frères et de moniales. En 1589, il est élu prieur du couvent de Ségovie.

Alors qu’il a été présent au départ de la Réforme et qu’il en a assumé différentes responsabilités, sauf celle de supérieur provincial, il finit par être marginalisé de nouveau en 1591, chez les Réformés eux-mêmes. Un Chapitre général veut l’envoyer fonder au Mexique ; il se retire dans l’ermitage proche de La Peñuela, le 10 août, porteur d’une fièvre qui ne le quittera plus. Le 28 septembre, il se rend au couvent le plus proche à Ubeda, pour s’y faire soigner. Entouré des frères de la petite communauté, il meurt dans la nuit du 13 au 14 décembre 1591, après avoir demandé au Prieur de lire en guise de prière des agonisants le Cantique des cantiques qui avait chanté en lui toute sa vie.

Toute sa vie, riche de dons naturels et oblatifs, est marquée par une intense expérience spirituelle et apostolique. Il est maintenant reconnu comme le Prince des poètes. Sa poésie composée en langue castillane, dans les formes du temps, est faite de 999 vers. Ses grandes œuvres sont Les Cantiques spirituels, La Montée du Carmel et La Nuit obscure, et La vive Flamme d’amour, traités et commentaires partiels de ses poèmes. D’autres textes plus brefs permettent une connaissance approfondie de sa personne et de son message.


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