Le Père n’a dit qu’une parole : ce fut son Fils. Et dans un silence éternel il la dit toujours : l’âme doit l’écouter en silence[1].

Un des textes bibliques fondamentaux dans la spiritualité du Carmel est celui où le Seigneur parle au prophète Elie et le charge de mission, non dans le fracas du tonnerre et des bourrasques, mais dans le souffle d’une brise légère[2]. Le recueillement intérieur est l’un des premiers objectifs à atteindre et ce recueillement intérieur demande, au départ, un certain silence extérieur.

Le silence extérieur est favorisé par la nuit et la solitude. Jésus nous en a donné l’exemple à maintes reprises. Il gravit la montagne à l’écart pour prier[3]. Il passait toute la nuit à prier Dieu[4]. Et il nous dit : Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre et prie le Père qui est là, dans le secret[5].

 

Un de nos premiers soins est de trouver dans notre vie des temps de silence, qui d’abord ne seront peut-être que de cinq ou dix minutes ; mais à mesure de notre persévérance, ils atteindront au moins une demi-heure d’affilée de prière silencieuse. Une éducation de nous-même est à faire. Or toute éducation est une progression : nous acceptons humblement d’avancer pas à pas.

 

Ce silence extérieur, on doit s’y habituer en supprimant les paroles superflues (elles sont pour nous occasion de tant de fautes) ; en nous privant d’une écoute ininterrompue de la radio ; en évitant les distractions qui nous éloignent de Dieu, etc… Ce silence extérieur, on peut le trouver chez soi ; on peut aller le chercher à l’église ou dans la nature… Mais à lui seul, il serait peu efficace s’il ne s’accompagnait, petit à petit, du silence intérieur.

 

Le silence intérieur ne nous est pas naturel. Nous avons d’autant plus de mal à nous concentrer, à intérioriser notre piété, à nous absorber dans la pensée du Dieu-Amour, que la vie actuelle est pleine de bruits qui semblent faits pour entraver la vie intérieure. Or la vie contemplative, la vie d’oraison n’est pas autre chose que le souvenir habituel de Dieu[6].

 

Tout l’enseignement de saint Jean de la Croix nous aide, au long des années, à acquérir un certain silence intérieur. « Un certain » silence et non le silence absolu. Car, de même qu’il y a toujours du bruit à l’intérieur comme à l’extérieur de notre corps tant qu’il y a de la vie (la nôtre et celle des autres), de même nous ne pourrons jamais empêcher des pensées de naître en nous, des images de se former dans notre esprit malgré nous. Mais nous apprenons à les maîtriser pour en faire une prière, les écarter si elles nous éloignent de Dieu afin qu’elles deviennent un moyen de purification pour pouvoir écouter la parole que Dieu veut nous dire.

 

La parole : d’une part, le Christ nous dit de redevenir semblables à de petits enfants[7] ; d’autre part, saint Paul nous parle de la nécessité de laisser le langage de l’enfant pour celui de l’adulte[8]. Il n’y pas contradiction, mais complémentarité. Le langage est le premier moyen de communication entre les êtres humains. L’éducation de l’enfant sert, entre autres, à lui donner la maîtrise de la langue. Mais le tout petit enfant (littéralement celui qui ne parle pas), s’il ne peut saisir le sens des mots, n’en est que plus sensible à ce que ces mots transmettent à son affectivité et il n’a pas besoin d’un langage articulé pour connaître l’amour de ses parents. C’est pourquoi la prière silencieuse nous remet d’abord entre les bras de Dieu, comme de petits enfants confiants. Sainte Thérèse de Lisieux nous aide à retrouver cet abandon sans réserve de nous-mêmes à Celui qui nous a créés et sauvés par pur amour.

En même temps et inséparablement, puisque Dieu a fait de nous des créatures qui évoluent, nous avons à parfaire le langage de notre prière pour qu’il devienne davantage une parole d’amour ; nous devons surtout affiner notre capacité d’écoute et améliorer notre compréhension du langage de Dieu, par l’étude de sa Parole dans l’Ecriture, comme à travers la charité fraternelle puisque Jésus s’identifie au plus petit de ses frères[9]. Notre parole, qui est partage, va aussi porter témoignage de notre réponse à l’appel plein de tendresse reçu de Dieu.

 

Je m’engage. Toute parole engage déjà celui qui la profère et c’est par des paroles que l’on prend un engagement. L’Eglise demande au baptisé de promettre, en adulte, fidélité au Christ. C’est en Eglise que le Seigneur demande, à celui qu’il attire vers le Carmel, de s’engager par une promesse particulière. N’ayez pas peur ! n’a cessé de nous redire Jean-Paul II, qui a si bien écrit sur la Miséricorde divine. Or la peur de s’engager est un mal pernicieux qu’il faut combattre. Cette peur exprime souvent une fausse humilité (je ne suis pas digne… je ne suis pas capable) qui est finalement un manque de foi, d’espérance et de charité. Nous oublions que Dieu est un Père tout-puissant et miséricordieux ; que Jésus nous dit : Gardez courage. J’ai vaincu le monde[10] ; enfin que son Esprit intercède pour nous avec des gémissements ineffables[11].

 

 

 

[1] Saint Jean de la Croix, Maxime 147

[2] 1 Rois 19, 9-13

[3] Matthieu 14, 23 ; Marc 6, 46 ; Luc 6, 12

[4] Luc 6, 2

[5] Matthieu 6,6

[6] Saint Jean de la Croix, La Nuit obscure, livre 1

[7] Matthieu 18, 3

[8] cf. 1 Corinthiens 3, 1-3

[9] Matthieu 25, 45

[10] Jean 16, 33

[11] Romains 8, 26