Les premiers ermites du Mont Carmel consacrèrent à la Vierge Marie la petite église qu’ils construisaient « au milieu de leurs cellules », signifiant ainsi qu’ils choisissaient Marie comme « patronne » de leur communauté naissante. Et peu de temps après leur arrivée en Europe, ils se firent appeler « Frères de Sainte-Marie du Mont Carmel ». Plus tard, sainte Thérèse d’Avila définit l’Ordre du Carmel comme « l’Ordre de Notre-Dame ».

 

 

 

 

Cette vocation à l’amour et au culte de Notre-Dame[1] se manifeste par trois attitudes traditionnelles : le service de « la Dame », l’invocation adressée à « la Mère » et l’imitation de « la Sœur ».

 

« Servir Notre-Dame » n’est autre que « servir son Fils », et ce n’est pas l’apanage exclusif de l’Ordre du Carmel. Si d’autres Ordres ont aussi comme service d’Eglise de « proclamer bienheureuse la Servante du Seigneur », c’est peut-être le mystère de l’Annonciation qui, traditionnellement, marque davantage la spiritualité du Carmel. Dans ce mystère, l’âme carmélitaine s’attache à contempler en Marie la « Toute Pure », celle dont la virginité brille d’un éclat sans pareil ; celle dont la vie entière, comme à l’Annonce de l’Ange, n’a été qu’un « oui » continuel à la volonté de Dieu ; celle qui n’a jamais cessé, comme pendant ses neuf mois d’attente, de garder tous ces événements dans son cœur et de les méditer[2].

 

La « maternité spirituelle » de Marie à l’égard de tous les frères du Christ est une donnée solide de notre foi et l’on connaît la formule de sainte Thérèse de Lisieux : elle est plus Mère que Reine[3]. Le Carmel veut plus spécialement continuer dans l’Eglise, Corps Mystique du Christ, l’amour filial que Jésus porte à sa Mère[4].

 

Selon les Constitutions de l’Ordre des Carmes Déchaux Séculier, les valeurs spécifiques du Carmel sont : la foi absolue en l’amour de Dieu, la pratique de l’oraison contemplative, l’ascèse de détachement qui en découle, la générosité de la charité fraternelle et du zèle apostolique ; ces valeurs sont vécues dans l’intimité de Marie, la Mère de Dieu, et sous sa maternelle et fraternelle protection[5].

 

Le premier texte, au XIVème siècle, où les Carmes donnent à Marie le titre de « Sœur », est L’Institution des Premiers Moines. Mais dès le IVème siècle, saint Athanase écrivait : Marie est notre sœur. Et le chapitre VIII de la Constitution Lumen Gentium marque la place de Marie, qui a connu l’épreuve de la foi parmi les membres du Corps chrétien. Marie est l’une d’entre nous et la mère du Christ total. Elle demeure notre sœur, notre sœur aînée. A son degré de sainteté, nul ne parviendra jamais, mais nous pouvons mettre nos pas dans ses pas, nous pouvons l’imiter au long de notre route humaine[6].

 

Dans la vie de tous les membres du Carmel, la Vierge Marie est présente… comme modèle de fidélité à l’écoute et au service du Seigneur, également comme Mère de l’Ordre qu’elle protège de façon privilégiée[7]. Et l’imiter en tout dans le quotidien de leur vie est pour les laïcs du Carmel une source de force et de joie.

 

Comme dit Thérèse de Lisieux : une très petite âme ne peut offrir au bon Dieu que de très petites choses[8]. Et chacun, comme elle, peut suivre l’exemple du Frère Laurent de la Résurrection, pour qui il n’est pas nécessaire d’avoir de grandes choses à faire : Je retourne ma petite omelette dans la poêle pour l’amour de Dieu ; quand elle est achevée, si je n’ai rien à faire, je me prosterne à terre et adore mon Dieu de qui m’est venue la grâce de la faire, après quoi je me relève plus content qu’un roi ![9]Sainte Thérèse d’Avila savait bien trouver le Seigneur au milieu des marmites[10]. La Vierge Marie nous apprend que Dieu, n’ayant besoin de rien, ne considère dans nos œuvres que l’amour dont elles sont accompagnées[11].

 

Mais les tâches quotidiennes ne sont pas seulement celles de la maison. Il y a le travail professionnel et toutes les autres activités. Dans ce domaine de l’humble route humaine où Marie demeure notre modèle, ce serait faire injure à la Mère de Dieu et négliger l’enseignement de sainte Thérèse d’Avila, que de ne pas faire cas de saint Joseph. Je ne sais comment on peut penser à la Reine des Anges au temps où elle vécut auprès de l’Enfant Jésus, sans remercier saint Joseph de les avoir si efficacement aidés[12]. Saint Joseph, le seul saint en relation avec le Père que personne n’a jamais vu. Tous les autres sont des images du Fils ; lui seul est celui par qui le Père Eternel s’est comme rendu « visible » auprès de Jésus lui-même[13].

 

Imiter Marie, c’est aussi imiter Joseph, son « compagnon d’éternité », le plus silencieux des contemplatifs de la Sainte Humanité de Jésus[14]. Aussi conclut la Madre : Que ceux qui ne trouveraient pas de maître pour leur enseigner l’oraison prennent pour maître ce glorieux saint, et ils ne s’égareront pas en chemin[15].

[1] Constitutions des Carmes Déchaux, 1986 (trad. fr. 1995) et des Carmélites Déchaussées, 1991

[2] Luc 2, 19.51

[3] Sainte Thérèse de Lisieux, Derniers Entretiens/C.J. 21 août 1897

[4] L’article du Père Joseph Baudry dans Carmel, 1979/1

[5] Constitutions I, 9

[6] Père Ambroise-Marie Carré, Marie, Mère du Christ et Mère des hommes

[7] Constitutions V, 29

[8] Sainte Thérèse de Lisieux, Manuscrit B 31r°

[9] Frère Laurent de la Résurrection, Ecrits et entretiens sur la Pratique de la présence de Dieu (M 10)

[10] Sainte Thérèse d’Avila, Le Livre des Fondations ch. 5

[11] Saint Jean de la Croix, La Montée du Carmel, livre 3

[12] Sainte Thérèse d’Avila, Autobiographie, ch. 6

[13] Monsieur Olier, cité par Jean Guitton dans Le Mystère de saint Joseph

[14] Expression utilisée par sainte Thérèse d’Avila pour désigner le Verbe incarné

[15] Sainte Thérèse d’Avila, Autobiographie, ch. 6