Si la spiritualité carmélitaine est « contemplative », l’élan apostolique – le souci du Règne de Dieu et du salut des hommes – ne lui fait pas défaut. Et ce lien manifeste le fait que l’union profonde au Seigneur nourrit un zèle pour l’Eglise.
Le Carmel, sur ce point, doit beaucoup à sainte Thérèse d’Avila. Plusieurs faits marquants dans sa vie ont éveillé et développé en elle le désir de travailler au salut de ses frères : une vision de l’enfer qu’elle narre dans son Autobiographie[1], la nouvelle des ravages que faisaient les Luthériens[2], les récits des missionnaires revenant des Indes[3]… Dans le silence et l’oraison, le cœur de sainte Thérèse s’est agrandi aux dimensions de l’Eglise universelle. Elle désire infuser à sa Réforme la compassion et le souci des âmes qui l’étreignent :
Je ne puis voir tant d’âmes se perdre sans que mon cœur ne soit brisé de douleur… Ô mes sœurs en Jésus Christ, aidez-moi à adresser cette supplique au Seigneur. C’est pour cette œuvre qu’il vous a réunies ici ; c’est là votre vocation ; ce sont là vos affaires ; tel doit être l’objet de vos désirs, le sujet de vos larmes, le but de votre prière[4].
Cette ferveur apostolique a trouvé un écho profond dans le cœur de l’autre Thérèse, celle de Lisieux. C’est en 1927 que Thérèse de l’Enfant-Jésus fut nommée par Pie XI « Patronne des Missions », geste hautement significatif de la valeur apostolique de l’amour et de la sainteté cachés. Une grande lumière s’en trouve projetée sur ce qu’est essentiellement l’apostolat. Et ce lien entre l’amour contemplatif et l’apostolat est caractéristique du Carmel.
L’apostolat n’est pas une grande entreprise humaine comme pourrait l’être l’effort d’une propagande partisane. Certes les talents humains, les moyens humains sont loin d’être négligeables : « Dieu a besoin des hommes ». Mais l’apostolat dans sa nature la plus profonde sera toujours la participation à l’œuvre de salut du Christ. Lui seul fait croître[5]. Le Christ étant le seul vrai Sauveur, plus l’apôtre lui sera uni, plus il deviendra instrument docile et efficace, laissant rayonner la puissance de Dieu[6].
Cela ne signifie pas évidemment qu’il faudrait avoir déjà réalisé la perfection de l’union au Christ pour se donner au travail apostolique direct. Il faut seulement ne jamais oublier que la fécondité de l’apostolat dépend davantage de l’intensité de la vie théologale de l’apôtre que de ses talents et de ses capacités naturelles. Cette fécondité, en effet, ne se mesure pas ; elle demeure, d’une certaine façon, le secret de Dieu. Si l’apôtre peut constater parfois le résultat de son action caritative, c’est dans la nuit de la foi et dans l’espérance qu’il travaille à la venue du Règne de Dieu. Comme telle, la spiritualité du Carmel ne préconise aucun apostolat particulier, ni ne privilégie aucun service. De nombreux membres de l’OCDS sont au service de la catéchèse de leur paroisse ; ils animent des groupes de prière ; ils participent au Mouvement des Chrétiens Retraités ; ils visitent malades et prisonniers ; ils acceptent des responsabilités municipales ou associatives ; ils apportent une aide au service d’accueil de certains Carmels, etc. Mais il faut souligner ici l’importance donnée par les Constitutions à l’apostolat communautaire[1]. Un chrétien qui s’abreuve aux sources du Carmel sait qu’il ne rencontrera Dieu dans les autres que s’il apprend à Le rencontrer au plus profond de soi par le regard de la foi, l’attention amoureuse et silencieuse de l’oraison. Si son état de santé lui interdit tout apostolat extérieur, il n’en demeure pas moins un apôtre privilégié par la prière, à l’exemple de sainte Thérèse de Lisieux et en union avec tout l’Ordre du Carmel, dans la communion des saints. [1] Constitutions IV, 25-28 [1] Sainte Thérèse d’Avila, Autobiographie, ch. 32 [2] Sainte Thérèse d’Avila, Le Chemin de la Perfection, ch. 1 [3] Sainte Thérèse d’Avila, Le Livre des Fondations, ch.1 [4] Ibid. [5] 1 Corinthiens 3, 6 [6] 1 Corinthiens 2, 5 |